Le microscope, le mécaniste et l'anguille du vinaigre

"Je ne pense pas que le divertissement de la Comédie, de l'Opéra avec toute sa magnificence, ceux des danseurs de cordes, des sauteurs et des combats d'animaux que nous voyons dans cette superbe Ville doivent leur être préférez."
A cette époque, le microscope n'est qu'un divertissement de naturaliste curieux que méprisait Buffon, et qui n'obtiendra ses lettres de noblesses qu'avec les microbiologistes "modernes": Pasteur, Koch... En attendant cette époque glorieuse, tous les liquides, toutes les surfaces sont scrutées par les microscopes de l'époque, pas si rudimentaires. Le vinaigre constitue un matériel de choix, foisonnant de vie. Grâce aux levures, qui transforment le sucre en éthanol, le jus de raisin (ou moût) devient du vin; grâce à des bactéries, du genre Acetobacter le bien nommé, comme A. suboxydans, l'alcool est oxydé en acide acétique. Levures et et bactéries diverses forment la "mère de vinaigre", conglomérat solide de microorganismes (donc un biofilm!), qui permet de démarrer la fabrication de vinaigre chez vous, mais qui donne également le gîte et le couvert aux anguilles du vinaigre, en réalité des nématodes (anciennement "anguillules") de l'espèce Turbatrix aceti, aujourd'hui élevés en tant que nourriture pour poissons d'aquariophilie. Bien que les nématodes soient parfaitement répugnants vus de près, l'ensemble est normalement inoffensif, ainsi que le fait remarquer Joblot:
"Bien des gens qui les avoient vûës dans nos microscope discontinuèrent de manger de la salade. J'avoient beau leur dire qu'elles étoient cent mille fois plus petites qu'ils ne les voyoient par ces instrumens, que la chaleur de l'estomac les faisoient mourir en un instant, et que, puisqu'ils avoient mangé de la salade sans en avoir ressenti aucune incommodité, ils pouvoient coninuer sans danger l'usage d'une chose qui leur faisoit plaisir, la plûpart ne pouvoient comprendre que les serpens qui leur avoient paru plus gros que le doigt et plus long que le bras ne fissent quelque mauvaise impression sur les membranes intérieures de l'estomac."
La perception du risque alimentaire n'a pas tout à fait changé... Vous avez noté que pour Joblot, c'est la "chaleur" de l'estomac qui tue les "serpens", et non un quelconque poison ou l'acidité ambiante. Dans la lignée de Descartes, Joblot est un mécaniste: pour lui, les effets visibles ont des causes qui peuvent se réduire à des interactions directes entre les solides. Selon ce point de vue, la digestion est un simple broyage, les poisons minéraux provoquent "mécaniquement" des dégâts dans l'organisme du fait de leur densité, etc. En deux mots, tout est à base de trous, de cassures et d'assemblages. Joblot rapporte une explication au piquant du vinaigre:
"Ces serpens ont une queuë fort aiguë, et c'est ce qui a donné occasion à plusieurs personnes de croire que le vinaigre ne piquoit que par l'impression que ces petits animaux faisoient."
Bien sûr, cette interprétation est fausse, car le goût acide relève plutôt de la chimie et des récepteurs de notre langue. Néanmoins, le mécanisme, que j'ai découvert à cette occasion, me paraît un effort courageux, rationnel bien que hâtif, pour proposer une explication "réductionniste" aux phénomènes observés, et en quelque sorte finale: étant donné les lois de la mécanique, il n'y a plus rien à expliquer une fois que l'on sait quelle partie interagit avec quelle autre. Il semble qu'historiquement, cette théorie ait été réfutée par l'étude de la gravitation*, qui implique des effets à distance et non directs. Quant aux amateurs de salades, Joblot avait filtré du vinaigre pour le débarrasser de ses anguilles, ce en quoi il est suivie par les vinaigriers industriels modernes, et montré qu'il conservait son goût et ses qualités sans ses petits hôtes inesthétiques. J'ignore s'il a pu en conclure que le piquant du vinaigre filtré, nécessairement intact, ne pouvait être dû au pointu des anguilles du vinaigre.
*Peut-on revisiter le mécanisme? il faudrait une réflexion de fond pour savoir si la science moderne s'y conforme, mais j'ai souvenir d'une explication "mécaniste" de la gravitation moderne: un objet dense attire les autres objets, et même la lumière, ce qui met la vieille formule de Newton à mal; on peut en revanche considérer que cet objet dense déforme l'espace temps comme une bille d'acier une toile cirée tendue, ce qui dévie toutes les trajectoires passant à proximité. Voici une interprétation satisfaisante, mécaniste, mais surtout sont j'ignore si elle est correcte! Les effets quantiques en revanche me semble hors de portée du mécanisme.
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