La notion d'espèce chez les bactéries (II) : le cas Escherichia coli-Shigella
La conclusion du billet précédent était que l'espèce, si difficile à cerner chez les bactéries, devait englober des individus ressemblant entre eux, et s'arrêter aux différences qui nous paraissent significatives, comme provoquer la lèpre ou la tuberculose. Nous disposons par défaut d'un critère de ressemblance des génomes, car les espèces constituent une réalité évolutive, être des éléments d'un arbre phylogénétique. Ici j'ai fait un petit travail de phylogénie basé sur les ARN 16S de quelques bactéries. Les ARN 16S (nommés d'après leur coefficient de sédimentation, le Svedberg) font partie de la structure du ribosome, où ils assurent l'initiation de la traduction de la séquence d'un ARN messager en protéine. Un ARN 16S est donc à la fois une molécule dont la fonction est vitale et une séquence génétique transmise au cours de l'évolution. Dans une même séquence, on observe que certaines régions sont très conservées (i. e. évoluent lentement), alors que d'autres sont plus variables. Ceci en fait un outil de choix pour réaliser des arbres phylogénétiques.
Sur une base de données d'ARN 16S (Ribosomal Database Project II), j'ai collecté les séquences issues de plusieurs entérobactéries (soit une même famille de bactéries), avant de les aligner entre elles pour obtenir un cladogramme qui se veut un arbre phylogénétique des bactéries elles-mêmes. Les bactéries choisies sont des représentantes d'espèces du genre Salmonella, du genre Shigella et de l'espèce Escherichia coli, ces deux derniers groupes étant assez proches, bien que contenant plusieurs espèces.
Sur une base de données d'ARN 16S (Ribosomal Database Project II), j'ai collecté les séquences issues de plusieurs entérobactéries (soit une même famille de bactéries), avant de les aligner entre elles pour obtenir un cladogramme qui se veut un arbre phylogénétique des bactéries elles-mêmes. Les bactéries choisies sont des représentantes d'espèces du genre Salmonella, du genre Shigella et de l'espèce Escherichia coli, ces deux derniers groupes étant assez proches, bien que contenant plusieurs espèces.
L'arbre obtenu est le suivant :

Les branches peuvent pivoter librement autour d'un noeud dans le sens vertical; la distance évolutive entre deux séquences/bactéries est représentée par la distance horizontale (edit: j'ai été instamment prié de clarifier ce point; tout ceci signifie que si vous voulez vous représenter la distance évolutive d'une espèce A à une espèce B, vous devez les relier avec le doigt sans lâcher le trait puis comptabiliser la distance parcourue dans le sens horizontal lors de ce trajet). On voit donc que le groupe des Salmonella est assez homogène et distant du reste (ce pourquoi il a été choisi), que nous allons analyser plus en détail:

Les Shigella sont ici entourées en rouge; on remarque qu'elles sont disséminées parmi les Escherichia coli. S'agit-il d'un artifice apparent de la construction graphique de l'arbre? Si l'on recherche l'ancêtre commun (le noeud) commun à tous les représentants du genre Shigella, on s'aperçoit qu'il est aussi à la base du groupe des E. coli. En d'autres termes, certaines Shigella sont plus proches de certaines E. coli que d'autres Shigella. Probablement, si j'avais ajouté plus de membres de l'espèce E. coli, on verrait que l'ancêtre commun le plus récent de cette espèce est aussi l'ancêtre des Shigella. Ce qu'on appelle aujourd'hui le genre Shigella est donc un groupe paraphylétique (c'est à dire que l'ancêtre commun de ce groupe a eu une descendance plus large que ce groupe seul). A mon sens, ceci devrait suffire à réunir tous ces organismes sous une seule appellation; d'autre part, les Shigella provoquent des shigelloses (dysentries diverses), de la même manière que certaines Escherichia coli. Il n'y a donc pas de différence fondamentale au niveau du mode de vie, du pouvoir pathogène, comme entre Mycobacterium tuberculosis et Mycobacterium leprae; l'argument "catalogue pratique" évoqué plus haut n'a donc pas vraiment cours. Soyons réaliste, il faudra nous contenter de cette nomenclature confuse et évolutivement incorrecte, tant elle a été consacrée par l'usage (et la création de groupes de recherche). Cependant, en étant conscient de cet état de fait et non pas amnésiques, nous savons alors à quoi ressemble une Shigella (à une E. coli!), ce qui nous aide dans une démarche de classification et de compréhension du vivant.
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
B
T
B
T