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Le blog des Bactéries et de l'Evolution

La notion d'espèce chez les bactéries (I) : lèpre, tuberculose et inventaire

11 Février 2007 , Rédigé par Benjamin Publié dans #Microbiologie

Dans sa définition classique, une espèce est un groupe d'êtres vivants féconds entre eux et dont la descendance est féconde. Par exemple, le cheval et l'âne appartiennent à deux espèces différentes, car leur descendance croisée (mulet ou baudet) est stérile. Les choses se compliquent déjà lorsque l'on parle de végétaux, comme les crucifères, où les hybrides sont fréquents et parfois fertiles (comme le colza, par exemple). Cette définition de l'espèce étant dépendante de la reproduction sexuée, comment l'appliquer aux bactéries, qui en sont dépourvues, dont la reproduction est exclusivement clonale?

Quand on y réfléchit, le critère d'interfécondité est en réalité inclus dans le critère vraiment important et universel, qui est le critère de "passé évolutif commun", duquel découle une ressemblance génétique et phénotypique. En effet, deux individus appartenant à la même espèce (ou au même taxon) ont des ancêtres communs; par conséquent, leurs génomes ne peuvent être très différents, et ils doivent en quelque sorte se ressembler. On a donc imaginé un critère qui déciderait si deux bactéries appartiennent à la même espèce ou non: ce critère est un seuil de 70% d'hybridation entre les ADN des deux bactéries. Ainsi, deux ADN relativement semblables dans leur séquence s'hybrideront facilement (attention:hybridation ne signifie pas identité de séquence, mais bien interaction physique), ce que l'on peut mesurer par l'abso
rbance de lumière ultra-violette par la solution. Ces 70% représentent donc une mesure de la ressmblance de deux génomes (donc leur proximité évolutive) et recouperaient les discontinuités observées dans la nature: il semble très difficile d'établir un continuum entre toutes les bactéries de toutes les espèces avec un seuil supérieur ou égal à 70%. Une espèce de bactérie est donc un ensemble de clones dont les génomes sont semblables à un certain degré, mais aussi (et souvent) un ensemble de clones qui ressemblent à l'espèce décrite il y a un siècle. par exemple, Mycobacterium tuberculosis (en haut à gauche, les petits bâtonnets rouges) et Mycobacterium leprae (en bas à droite, les autres petits bâtonnets rouges, mais d'une espèce différente), causant respectivement la tuberculose et la lèpre, ont été décrites comme deux espèces différentes; pourtant, leurs deux génomes s'hybrident à 99%! Pourquoi ne pas avoir réuni les deux espèces en une seule, pour obéir au critère défini ci-dessus?

En réalité, j'ai volontairement perdu de vue dans ce billet un aspect crucial: l'espèce, c'est d'abord un nom, un binôme (genre et espèce) suivant les prescriptions de Linné. Pourquoi? parce qu'une espèce, c'est une notion artificielle, chez les bactéries plus qu'ailleurs.  Le passé évolutif commun ne donne pas les limites du taxon (ordre, genre, espèce...);
l'interfécondité, qui donne cette limite, n'est valable que pour les animaux et une partie des végétaux. Une espèce doit nous servir à désigner d'une manière pratique un ensemble d'êtres vivants, selon l'intérêt que nous leur portons. Ainsi, lorsque l'on dresse un inventaire pratique de la biodiversité, il semble pertinent de  distinguer le germe qui donne la tuberculose de celui qui donne la lèpre (vous ne voudriez pas les rencontrer au coin d'un bois à la nuit tombée) en les "rangeant" espèces différentes. N'en déplaise à ceux "qui trouvent super-naze / de mettre les gens dans des cases".

Pour conclure, ce fameux critère des 70% ne doit nous donner qu'une indication a priori, par exemple au moment de décrire une nouvelle espèce. Cette définition chiffrée et dogmatique de l'espèce bactérienne devrait s'effacer devant les différences qui nous paraissent importantes, que l'on parle d'hybrides végétaux fertiles ou de bactéries pathogènes, car la notion d'espèce n'existe que pour l'homme.

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