Histoire du BCG
Reprenons le court de mon précédent récit: nous sommes à la fin du XIXème siècle, et malgré les incroyables progrès réalisés en 50 ans de microbiologie, en particulier grâce aux microbiologistes allemands et français, la tuberculose reste un fléau majeur, l'ennemi microbiologie numéro un. Une fois le mirage de sa lymphe dissipé, Robert Koch patine, tandis qu'à l'institut Pasteur de Nantes, Gustave Rappin suit depuis 1894 une piste prometteuse, mais qui n'aboutira pas avant 1924, trop tard.
Albert Calmette est alors un scientifique chevronné. Médecin militaire de formation, il visite des pays lointains, identifie des maladies exotiques, fonde l'institut Pasteur de Saïgon, met au point un sérum contre le venin de cobra, et prend en cette même année 1894 la direction du tout nouvel institut Pasteur de Lille. En 1897, il commence à travailler avec Camille Guérin, médecin vétérinaire: ils s'attaquent à la tuberculose avec pour point de départ ce qu'on devait appeler par la suite le "phénomène de Koch": l'inoculation de bacilles tuberculeux à des cobayes sains déclenchent une réaction violente, qui se traduit par unulcère persistant et mortel. En revanche, si le cobaye était auparavant porteur du germe de la tuberculose, il ne développait que des lésions bégnines. Ainsi, une primo-infection protège contre les infections ultérieures, ce qui est le principe même de la vaccination, si familier de nos jours. A la faveur d'expériences sur les bovins, Calmette et Guérin découvrent qu'un délai est nécessaire après la primo-infection pour que la protection qu'elle confère soit efficace, un paramètre à prendre en compte pour la mise au point d'un éventuel vaccin. Là n'est pas la seule difficulté: l'objectif étant de vacciner l'humain, il était tout à fait impensable d'inoculer un bacille virulent pour créer une primo-infection! Mais alors, comment atténuer sa virulence?
Comme je l'ai évoqué dans le billet précédent, l'atténuation de souches pathogènes s'accomplissait en général par le biais de cultures successives ou prolongées, par exemple pendant un mois pour le germe du choléra des poules, ce qui a abouti au premier vaccin de laboratoire... un traitement qui laisse Mycobacterium tuberculosis inchangée. Calmette et Guérin furent plus subtils: il cultivèrent la souche virulente sur un milieu consistué de pomme de terre imprégnée de bile de boeuf glycérinée. Il semble que l'idée d'utiliser de la bile (saugrenue à première vue, non?) leur ait été communiquée par le norvégien Kristian Feyer Andvord, mais ce fait n'est mentionné que par Wikipedia et par aucune de mes sources livresques. Quoiqu'il en soit, la bactérie cultivée sur un tel milieu semble perdre de sa virulence génération après génération. Au passage, un autre mérite de la bile est d'empêcher la formation d'aggrégats bactériens. Pour remédier à la lenteur de croissance de M. tuberculosis, nos microbiologistes procédèrent donc à 30 cultures successives du bacille tuberculeux sur leur milieu bilié, chacune durant 25 jours. La virulence du bacille avait déjà considérablement diminué, mais pas encore assez, probablement: au total, l'atténuation durera 13 ans et comprendra 230 repiquages!
Au terme de ces treize ans de gestation et d'évolution, le bacille de Calmette-Guérin était né, soit le BCG que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agit d'une bactérie, arrière petite-fille de Mycobacterium tuberculosis mais non virulente, qui une fois administrée vivante par voie orale subsiste dans l'organisme (rappelez-vous que la voie digestive est un des modes d'infection de M. tuberculosis). Tant qu'elle est présente, son porteur bénéficie du phénomène de Koch et restera réfractaire à l'authentique bacille de la tuberculose. Un petit dilemme facétieux m'a chatouillé au moment où j'écrivais le titre de ce billet: la mise au point du BCG est-elle plutôt une découverte ou plutôt une invention? Tout dépend de la part que vous accordez à la nature dans le processus...
Mais je m'égare... Où en sont Calmette et Guérin? Leur fameux bacille fonctionne-t-il? En 1919, les expérimentations menées sur des bovins au fur et à mesure de l'atténuation sont concluantes, ainsi que celles menées sur des singes en 1920. Plus prudents que Koch avec sa fameuse lymphe, nos microbiologistes préfèrent multiplier les vérifications avant de passer à l'homme... Mais comme pour Pasteur et son vaccin contre la rage, le destin va forcer la main de Calmette et Guérin. Le 21 juillet 1921, pressé par les pédiatres Benjamin Weill-Hallé et Raymond Turpin, Calmette accepte que son vaccin soit administré à un nouveau-né "à risque", dont la mère vient de mourir de la tuberculose et élevé par sa grand-mère, tuberculeuse elle aussi. Dix ans plus tard, l'enfant est en parfaite santé. Dans l'intervalles, des tests sont réalisés à plus grandes échelle sur l'homme comme sur l'animal, et s'avèrent tout aussi concluants: le BCG est inoffensif même à forte dose, et il remplit son rôle d'immunisation. A partir de 1927, le BCG est consacré scientifiquement, sans atteindre toutefois la célébrité de la lymphe de Koch; en 1928, la mortalité tuberculeuse des 3 607 enfants vaccinés suivis par Calmette s'effondre à 0,3%, contre 25% environ en l'absence de vaccin (selon les hôpitaux et les villes). Moyennant quelques précautions, le BCG permit aussi d'épargner la maladie aux enfants nés de parents tuberculeux. La tuberculose est vaincue.
L'avenir du BCG sera-t-il aussi brillant que le promettent ces résultats? A l'aube de l'année 1930, tout semble l'indiquer. Et pourtant...
Albert Calmette est alors un scientifique chevronné. Médecin militaire de formation, il visite des pays lointains, identifie des maladies exotiques, fonde l'institut Pasteur de Saïgon, met au point un sérum contre le venin de cobra, et prend en cette même année 1894 la direction du tout nouvel institut Pasteur de Lille. En 1897, il commence à travailler avec Camille Guérin, médecin vétérinaire: ils s'attaquent à la tuberculose avec pour point de départ ce qu'on devait appeler par la suite le "phénomène de Koch": l'inoculation de bacilles tuberculeux à des cobayes sains déclenchent une réaction violente, qui se traduit par unulcère persistant et mortel. En revanche, si le cobaye était auparavant porteur du germe de la tuberculose, il ne développait que des lésions bégnines. Ainsi, une primo-infection protège contre les infections ultérieures, ce qui est le principe même de la vaccination, si familier de nos jours. A la faveur d'expériences sur les bovins, Calmette et Guérin découvrent qu'un délai est nécessaire après la primo-infection pour que la protection qu'elle confère soit efficace, un paramètre à prendre en compte pour la mise au point d'un éventuel vaccin. Là n'est pas la seule difficulté: l'objectif étant de vacciner l'humain, il était tout à fait impensable d'inoculer un bacille virulent pour créer une primo-infection! Mais alors, comment atténuer sa virulence?
Comme je l'ai évoqué dans le billet précédent, l'atténuation de souches pathogènes s'accomplissait en général par le biais de cultures successives ou prolongées, par exemple pendant un mois pour le germe du choléra des poules, ce qui a abouti au premier vaccin de laboratoire... un traitement qui laisse Mycobacterium tuberculosis inchangée. Calmette et Guérin furent plus subtils: il cultivèrent la souche virulente sur un milieu consistué de pomme de terre imprégnée de bile de boeuf glycérinée. Il semble que l'idée d'utiliser de la bile (saugrenue à première vue, non?) leur ait été communiquée par le norvégien Kristian Feyer Andvord, mais ce fait n'est mentionné que par Wikipedia et par aucune de mes sources livresques. Quoiqu'il en soit, la bactérie cultivée sur un tel milieu semble perdre de sa virulence génération après génération. Au passage, un autre mérite de la bile est d'empêcher la formation d'aggrégats bactériens. Pour remédier à la lenteur de croissance de M. tuberculosis, nos microbiologistes procédèrent donc à 30 cultures successives du bacille tuberculeux sur leur milieu bilié, chacune durant 25 jours. La virulence du bacille avait déjà considérablement diminué, mais pas encore assez, probablement: au total, l'atténuation durera 13 ans et comprendra 230 repiquages!
Au terme de ces treize ans de gestation et d'évolution, le bacille de Calmette-Guérin était né, soit le BCG que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agit d'une bactérie, arrière petite-fille de Mycobacterium tuberculosis mais non virulente, qui une fois administrée vivante par voie orale subsiste dans l'organisme (rappelez-vous que la voie digestive est un des modes d'infection de M. tuberculosis). Tant qu'elle est présente, son porteur bénéficie du phénomène de Koch et restera réfractaire à l'authentique bacille de la tuberculose. Un petit dilemme facétieux m'a chatouillé au moment où j'écrivais le titre de ce billet: la mise au point du BCG est-elle plutôt une découverte ou plutôt une invention? Tout dépend de la part que vous accordez à la nature dans le processus...
Mais je m'égare... Où en sont Calmette et Guérin? Leur fameux bacille fonctionne-t-il? En 1919, les expérimentations menées sur des bovins au fur et à mesure de l'atténuation sont concluantes, ainsi que celles menées sur des singes en 1920. Plus prudents que Koch avec sa fameuse lymphe, nos microbiologistes préfèrent multiplier les vérifications avant de passer à l'homme... Mais comme pour Pasteur et son vaccin contre la rage, le destin va forcer la main de Calmette et Guérin. Le 21 juillet 1921, pressé par les pédiatres Benjamin Weill-Hallé et Raymond Turpin, Calmette accepte que son vaccin soit administré à un nouveau-né "à risque", dont la mère vient de mourir de la tuberculose et élevé par sa grand-mère, tuberculeuse elle aussi. Dix ans plus tard, l'enfant est en parfaite santé. Dans l'intervalles, des tests sont réalisés à plus grandes échelle sur l'homme comme sur l'animal, et s'avèrent tout aussi concluants: le BCG est inoffensif même à forte dose, et il remplit son rôle d'immunisation. A partir de 1927, le BCG est consacré scientifiquement, sans atteindre toutefois la célébrité de la lymphe de Koch; en 1928, la mortalité tuberculeuse des 3 607 enfants vaccinés suivis par Calmette s'effondre à 0,3%, contre 25% environ en l'absence de vaccin (selon les hôpitaux et les villes). Moyennant quelques précautions, le BCG permit aussi d'épargner la maladie aux enfants nés de parents tuberculeux. La tuberculose est vaincue.
L'avenir du BCG sera-t-il aussi brillant que le promettent ces résultats? A l'aube de l'année 1930, tout semble l'indiquer. Et pourtant...
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
G
M
E
B