OGM: le poids des mots
Ces jours-ci, quand on parle des OGM, il est difficile de décider par où l'on commence... Prenons par exemple le Grenelle de l'Environnement: à l'issue de cette consultation, il avait été décidé par le ministre de l'Ecologie de geler les cultures du seul OGM autorisé en France, le maïs Mon810, en attendant le vote d'une loi relative à la culture des OGM début février, et surtout l'examen du cas de cet OGM par une "haute autorité" créée pour l'occasion. A ma grande surprise, cette décision a été beaucoup raillée car on ne sème pas le maïs durant l'hiver... ce qui n'a pas empêché José Bové de conduire une grève de la faim pendant cette même période pour obtenir l'interdiction de cet OGM. A vrai dire, peu importe. Le gel provisoire des cultures était un geste de bonne volonté, essentiellement politique certes, mais un geste quand même.
Peut-être pour répondre à José Bové, le président Sarkozy s'était déclaré le 8 janvier prêt à déclencher la fameuse clause de sauvegarde, donc à interdire le Mon810, en cas de "doutes sérieux" à son égard. Au même moment, la haute autorité (ou plutôt le comité la préfigurant) se réunissait et planchait sur le cas du Mon810. Le lendemain, son président, le sénateur Jean-François Le Grand, remettait un avis au ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo, en employant des mots choisis: "oui, il existe des doutes sérieux", affirme-t-il, évoquant "des éléments scientifiques nouveaux". Tous en choeur, les journaux ont repris ces doutes sérieux avec forces guillemets. Le Monde écrivait ainsi: "Y a-t-il des doutes sérieux de nature à remettre en question cette homologation ? Les réponses ont été claires", et, plus loin, "pour la première fois en France, une autorité chargée de l'évaluation des OGM émet un avis réservé solidement étayé".
La cause semblait entendue: les scientifiques avaient fini par se faire entendre et avertir le public que le Mon810 méritait d'être interdit, un message clair relayé par le politique. Est-ce si simple?
Le 10 janvier, alors que les "doutes sérieux" faisaient encore les gros titres, quelques membres de la haute autorité ont fini par se faire réellement entendre. A travers un communiqué, ils rappellent que jamais ils n'ont employé les termes "doutes sérieux" dans l'avis remis au ministère, ni suggéré que les éléments scientifiques nouveaux étaient globalement négatifs. Ce communiqué a été signé par 12 scientifiques (sur 15) et 2 non-scientifiques (sur 19, interessant ratio). On apprend du même coup que l'avis a été rédigé phrase après phrase et sans consensus global. Parmi les trois scientifiques n'ayant pas signé ce communiqué, on trouve Pierre-Henri Gouyon, qui n'est pas un grand fan des OGM (principalement pour des raisons économiques et sociales, me semble-t-il), mais qui lui aussi regrette le décalage entre l'avis rédigé et l'interprétation de Jean-François Le Grand.
C'est la sagesse qui parle par la bouche de Frédéric Jacquemart, représentant de France Nature Environnement dans cette haute autorité, lorsqu'il déclare: "on a convenu que la qualification de "doute sérieux" dépassait le langage scientifique et revenait au politique". Effectivement, il est dans la nature du travail scientifique de douter et de considérer des éléments nouveaux. L'avis rédigé à la hâte par la haute autorité a ensuite été interprété en une phrase par un homme politique, qui s'est servi de termes tout à fait dénués d'ambiguité, étant donné le contexte. Ce ne serait rien si la déclaration de Le Grand, soit les quelques mots qu'il a lâchés au moment de rendre l'avis, n'avait pas eu mille fois plus de retentissement que l'avis lui-même!
Vous n'avez qu'à lire l'avis et vous faire une opinion. Parmi les faits scientifiques nouveaux, il y a des arguments en faveur du Mon810 comme des arguments contre. Ce que l'on sait en revanche, c'est que l'on ne sait rien. Tout l'avis est émaillé de phrases qui sonnent comme des aveux d'impuissance: "ce point n'a pas recueilli de consensus", "le comité a souligné l'absence d'évaluations", etc.
Depuis que ces avis contradictoires ont été communiqués à la presse, la guerre entre les pro- et anti-OGM fait rage. Ces derniers semblent avoir remporté une bataille, car le gouvernement vient d'appliquer la clause de sauvegarde au Mon810. Ceci n'engage pas a priori la future loi ni l'autorisation d'autres OGM, mais il sera difficile de faire marche arrière pour le Mon810 en particulier.
Mais au fait, de quel OGM est-il question? Il est grand temps de le préciser! Le Mon810 est un maïs modifié pour produire une toxine insecticide qui le protège de la pyrale du maïs. Dit comme ça, ça fait peur, non? Un insecticide directement présent dans la nourriture, même destinée au bétail, ça vous refroidit un citoyen! Si j'ajoute qu'il a été inventé et commercialisé par la firme Monsanto, qui a aujourd'hui l'image de l'antéchrist du capitalisme, je peux retourner l'opinion comme une chaussette! Pour vous rassurer, considérez d'abord que des études scientifiques indépendantes n'ont pas (encore?) réussi à montrer "proprement" une toxicité de ce maïs pour la santé animale, ensuite que ce maïs est moins susceptible de contenir des mycotoxines que les maïs biologiques ou conventionnels, enfin que la toxine est analogue à celle produite dans la nature par la bactérie Bacillus thuringiensis, qui est parfaitement autorisée en agriculture biologique! Dans ce dernier cas, ce sont des spores de la bactérie qui sont épandus sur les cultures, et bizarrement, ça n'effraie personne... tant mieux après tout, les bactéries sont principalement nos amies.
Voilà bien une notion qui n'est pas répandue, et sur laquelle je souhaite insister: tout ce qui est naturel n'est pas inoffensif, de même que tous les pesticides ne sont pas toxiques. Les plantes que nous consommons tous les jours sont bourrées de pesticides naturels! Le moment est donc bien choisi pour invoquer l'alchimiste Paracelse: "tout est poison, et rien n'est sans poison. Seule la dose fait qu'une chose n'est pas un poison". La question de la toxicité des OGM (et des pesticides) ne se résoudra pas par une logique qui se voudrait imparable ("les OGM sont bourrés de poisons"), mais en considérant l'impact sur la santé des doses ingérées, sans oublier la fréquence d'ingestion.
Pour nuancer ces propos qui se voulaient dédramatisants, il est vrai que l'impact écologique de ce maïs est mal connu, notamment quant à la biodiversité des insectes, et je pense que c'est ce que voulaient souligner les experts de la haute autorité. Ce comité aura eu au moins un mérite: montrer que la science n'offre que peu de certitudes, et qu'il faut bien plus de quelques jours pour mettre 35 personnes d'accord sur un texte de trois pages. La prochaine fois, peut-être.
Peut-être pour répondre à José Bové, le président Sarkozy s'était déclaré le 8 janvier prêt à déclencher la fameuse clause de sauvegarde, donc à interdire le Mon810, en cas de "doutes sérieux" à son égard. Au même moment, la haute autorité (ou plutôt le comité la préfigurant) se réunissait et planchait sur le cas du Mon810. Le lendemain, son président, le sénateur Jean-François Le Grand, remettait un avis au ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo, en employant des mots choisis: "oui, il existe des doutes sérieux", affirme-t-il, évoquant "des éléments scientifiques nouveaux". Tous en choeur, les journaux ont repris ces doutes sérieux avec forces guillemets. Le Monde écrivait ainsi: "Y a-t-il des doutes sérieux de nature à remettre en question cette homologation ? Les réponses ont été claires", et, plus loin, "pour la première fois en France, une autorité chargée de l'évaluation des OGM émet un avis réservé solidement étayé".
La cause semblait entendue: les scientifiques avaient fini par se faire entendre et avertir le public que le Mon810 méritait d'être interdit, un message clair relayé par le politique. Est-ce si simple?
Le 10 janvier, alors que les "doutes sérieux" faisaient encore les gros titres, quelques membres de la haute autorité ont fini par se faire réellement entendre. A travers un communiqué, ils rappellent que jamais ils n'ont employé les termes "doutes sérieux" dans l'avis remis au ministère, ni suggéré que les éléments scientifiques nouveaux étaient globalement négatifs. Ce communiqué a été signé par 12 scientifiques (sur 15) et 2 non-scientifiques (sur 19, interessant ratio). On apprend du même coup que l'avis a été rédigé phrase après phrase et sans consensus global. Parmi les trois scientifiques n'ayant pas signé ce communiqué, on trouve Pierre-Henri Gouyon, qui n'est pas un grand fan des OGM (principalement pour des raisons économiques et sociales, me semble-t-il), mais qui lui aussi regrette le décalage entre l'avis rédigé et l'interprétation de Jean-François Le Grand.
C'est la sagesse qui parle par la bouche de Frédéric Jacquemart, représentant de France Nature Environnement dans cette haute autorité, lorsqu'il déclare: "on a convenu que la qualification de "doute sérieux" dépassait le langage scientifique et revenait au politique". Effectivement, il est dans la nature du travail scientifique de douter et de considérer des éléments nouveaux. L'avis rédigé à la hâte par la haute autorité a ensuite été interprété en une phrase par un homme politique, qui s'est servi de termes tout à fait dénués d'ambiguité, étant donné le contexte. Ce ne serait rien si la déclaration de Le Grand, soit les quelques mots qu'il a lâchés au moment de rendre l'avis, n'avait pas eu mille fois plus de retentissement que l'avis lui-même!
Vous n'avez qu'à lire l'avis et vous faire une opinion. Parmi les faits scientifiques nouveaux, il y a des arguments en faveur du Mon810 comme des arguments contre. Ce que l'on sait en revanche, c'est que l'on ne sait rien. Tout l'avis est émaillé de phrases qui sonnent comme des aveux d'impuissance: "ce point n'a pas recueilli de consensus", "le comité a souligné l'absence d'évaluations", etc.
Depuis que ces avis contradictoires ont été communiqués à la presse, la guerre entre les pro- et anti-OGM fait rage. Ces derniers semblent avoir remporté une bataille, car le gouvernement vient d'appliquer la clause de sauvegarde au Mon810. Ceci n'engage pas a priori la future loi ni l'autorisation d'autres OGM, mais il sera difficile de faire marche arrière pour le Mon810 en particulier.
Mais au fait, de quel OGM est-il question? Il est grand temps de le préciser! Le Mon810 est un maïs modifié pour produire une toxine insecticide qui le protège de la pyrale du maïs. Dit comme ça, ça fait peur, non? Un insecticide directement présent dans la nourriture, même destinée au bétail, ça vous refroidit un citoyen! Si j'ajoute qu'il a été inventé et commercialisé par la firme Monsanto, qui a aujourd'hui l'image de l'antéchrist du capitalisme, je peux retourner l'opinion comme une chaussette! Pour vous rassurer, considérez d'abord que des études scientifiques indépendantes n'ont pas (encore?) réussi à montrer "proprement" une toxicité de ce maïs pour la santé animale, ensuite que ce maïs est moins susceptible de contenir des mycotoxines que les maïs biologiques ou conventionnels, enfin que la toxine est analogue à celle produite dans la nature par la bactérie Bacillus thuringiensis, qui est parfaitement autorisée en agriculture biologique! Dans ce dernier cas, ce sont des spores de la bactérie qui sont épandus sur les cultures, et bizarrement, ça n'effraie personne... tant mieux après tout, les bactéries sont principalement nos amies.
Voilà bien une notion qui n'est pas répandue, et sur laquelle je souhaite insister: tout ce qui est naturel n'est pas inoffensif, de même que tous les pesticides ne sont pas toxiques. Les plantes que nous consommons tous les jours sont bourrées de pesticides naturels! Le moment est donc bien choisi pour invoquer l'alchimiste Paracelse: "tout est poison, et rien n'est sans poison. Seule la dose fait qu'une chose n'est pas un poison". La question de la toxicité des OGM (et des pesticides) ne se résoudra pas par une logique qui se voudrait imparable ("les OGM sont bourrés de poisons"), mais en considérant l'impact sur la santé des doses ingérées, sans oublier la fréquence d'ingestion.
Pour nuancer ces propos qui se voulaient dédramatisants, il est vrai que l'impact écologique de ce maïs est mal connu, notamment quant à la biodiversité des insectes, et je pense que c'est ce que voulaient souligner les experts de la haute autorité. Ce comité aura eu au moins un mérite: montrer que la science n'offre que peu de certitudes, et qu'il faut bien plus de quelques jours pour mettre 35 personnes d'accord sur un texte de trois pages. La prochaine fois, peut-être.
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
G
B
G
B