Du chocolat, du métabolisme et des bactéries
Dans le billet intitulé "microbiome et obésité", nous avons vu que notre régime alimentaire influençait la composition et le fonctionnement de notre flore intestinale. Mieux, cette flore constituée d’un nombre astronomique de bactéries modifie à son tour la manière dont notre organisme utilise les aliments. Il peut alors s’établir un équilibre, maintenu à la fois par notre régime alimentaire et par nos chères bactéries. Malheureusement, tout équilibre n'est pas bénéfique, comme nous le montrent les travaux de Jeff Gordon qui traitent de l'obésité.
D’autres scientifiques, dirigés par Sunil Kochhar (article visible ici et son commentaire là), se sont attelés à la caractérisation de l’impact de nos préférences alimentaires sur notre métabolisme, avec le paramètre supplémentaire que constitue la flore digestive. A l'approche des fêtes, la préférence alimentaire choisie ne manque pas de pertinence: il s’agit du goût, que dis-je, de la passion pour le chocolat.

Les chercheurs ont donc sélectionné onze hommes indifférents au chocolat (mais où diable ont-ils été les chercher? Ont-ils formé une équipe de football ensuite?) et 11 hommes "accros". Vous vous demandez probablement pourquoi faire preuve de tant de machisme dans la méthodologie, non? La raison en est tout à fait pragmatique: sur la durée de l’étude, des femmes auraient été sujettes à des variations hormonales qui n’auraient pu que compliquer encore l’interprétation des résultats. Les vingt-deux cobayes ont été soumis à un régime défini, agrémenté soit de pain, soit de chocolat. Pour étudier leur métabolisme, des échantillons de sang et d’urine ont ensuite été prélevés puis analysés par RMN (ou "résonance magnétique nucléaire", une technique permettant de détecter et d’identifier des molécules organiques). Comme il lui faut bien un nom, on appelle cette approche la "nutrimétabonomique": l’étude de l’impact de la nutrition sur le métabolisme, et ce à des niveaux non symptomatiques, ne relevant pas donc pas de la médecine.
Le résultat-clef est le suivant: à alimentation égale, les indifférents et les amateurs de chocolat ont un métabolisme différent. Ainsi, au milieu d’une foultitude de résultats, le sang des fans de cacao présente moins de lipoprotéines de faible densité (ou LDL, le "mauvais cholestérol") et plus d’albumine (une protéine chargée de transporter les nutriments). Au premier degré, les différences entre les deux groupes semblent résulter de la régulation du cycle de Krebs (qui produit l’énergie dans nos cellules), du métabolisme des lipides, mais aussi… de la flore digestive.
Avec cette approche plus fine que dans les travaux sur l’obésité, les auteurs montrent indirectement que nos habitudes alimentaires influencent la régulation de notre métabolisme, mais aussi nos petits partenaires microbiens. Ces modifications changent à leur tour l’utilisation que notre organisme fait des nutriments. Par exemple, un habitué du chocolat retirera moins de LDL qu’une personne insensible aux charmes du cacao, mais, j’insiste, n’allez pas pour autant vous goinfrer de tout le chocolat de la maison, croyant que c’est bon pour le cholestérol! Quantitativement, les résultats ne sont valables que dans les conditions de l’expérience (un complément de 50g de pain ou de chocolat par jour), même si qualitativement, les conclusions demeurent : notre régime change durablement notre métabolisme. Dans ces travaux, je regrette un tout petit peu le manque d’étude directe des bactéries de la flore digestive ; j’aurais bien aimé connaître les "bactéries des habitués du chocolat et leur fonctionnement. J'ai lu qu'entre autres choses le chocolat était riche en tryptophane, qui est un acide aminé essentiel pour nombre de bactéries. En apporter en quantités suffisantes pourrait-il déplacer l'équilibre des populations microbiennes de la flore? On sait par ailleurs que la composition de la flore est assez robuste face aux perturbations alimentaires, en tous cas à l'échelle de quelques jours. Certains regretteront l'absence de considération pour la variabilité génétique qui doit exister entre les cobayes, d'autres se désoleront de ne pas savoir comment on modifie son métabolisme à long terme... Soyez patients, la "nutrimétabonomique" décolle à peine! La méthode développée dans cet article, où elle est appliquée au chocolat (ce qui fait à mes yeux la moitié de son intérêt), pourrait facilement être transposée à d’autres traits du régime alimentaire: thé, café, huile d’olive, viandes rouges, voire filet de bœuf en croûte avec sa sauce au foie gras et aux morilles… j’arrête là, ce billet me donne faim!
Fait remarquable, les auteurs de ces travaux publiés dans le Journal of Proteome Research appartiennent à l’Imperial College, prestigieuse université londonienne, et au centre de recherche de Nestlé, en Suisse.
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