Le processus de publication scientifique
Dans deux billets où je racontais les étapes permettant de devenir chercheur, j'avais lourdement insisté sur l'importance des publications, des "papiers". Lourdement oui, mais à juste titre, car ces articles parus dans des revues internationales à comité de lecture (ou "peer-reviewed") sont la seule mesure de la qualité d'un chercheur, et ce tout au lond de sa carrière. Le nombre des papiers compte, bien sûr, mais aussi le prestige des revues dans lesquelles ils sortent.
Prenons un exemple simple, comme un thésard. Sa journée est remplie d'expériences diverses, de "manips", et certains de ses résultats le conduisent à une troublante découverte: le gène truC est impliqué dans la voie de signalisation MasH-1. Incroyable! Il en fait aussitôt part à son directeur de thèse, qui va le renvoyer dans ses vingt-deux mètres d'un "oui, c'est intéressant, mais on va quand même commencer par vérifier, des fois que ce serait un artefact"... Et par "on", le directeur de thèse veut dire: "tu". Pendant des mois, le thésard va donc confirmer sa découverte par plusieurs moyens indépendants lorsque c'est possible, répéter les expériences, éclaircir le mode d'action du produit du gène truC, la protéine TruC, en démontrant qu'elle active la voie MasH-1 en se liant à un complexe, un dimère de Dopamine-Uridine-Leucine-Ethylamine (oui, le fameux complexe bi-DULE). Lorsque l'ensemble des résultats et de leurs interprétations constitue une histoire cohérente qui accroît significativement notre connaissance de la voie MasH-1, le chef du projet (en l'occurrence le directeur de thèse) prend la décision de publier.
Avant même de commencer la rédaction, il faut choisir le journal auquel on va soumettre l'article, et ce pour une raison simple: ce choix va influer sur la rédaction. Or, il est inutile de perdre du temps à soumettre un article pauvre en résultats à Science, et il est assez déconseillé de dévaloriser ses travaux en publiant dans le Quaterly Journal of Finnish Microbiology. Le temps est précieux: la rédaction occupe quelques mois à temps partiel, la réponse du journal quelques semaines, un délai pendant lequel des concurrents peuvent publier la même chose, ou pendant lequel un des auteurs aimerait bien se faire valoir d'une publication supplémentaire devant un jury de thèse ou de recrutement. Un bon chercheur doit donc bien évaluer les probabilités de voir son papier accepté dans une revue donnée, et ce afin de bien choisir son journal cible .
Deuxième préambule indispensable à la rédaction, définir l'ordre des auteurs. En effet, les auteurs des articles sont cités dans un ordre chargé de sens: le premier nom est celui qui a le plus travaillé sur les expériences, le dernier est le responsable du projet. Le deuxième est donc un collaborateur qui a fait un peu moins de manips, l'avant-dernier est son chef, et ainsi de suite. Pour résumer, les deux noms importants sont le premier et le dernier (des ex-aequo sont possibles à chaque position), alors que l'on trouve dans le milieu les personnes ayant ponctuellement fourni un travail expérimental (bien que souvent crucial). Les membres des jurys sont évidemment très au fait de ces arcanes de la recherche et n'accordent que peu d'importance aux papiers dont vous n'êtes pas l'auteur principal, et c'est pourquoi certains conflits peuvent survenir entre post-docs ou thésards dans le besoin de publications. L'ordre des auteurs étant si important, il est parfois sujet à manipulations (inversion de noms selon les besoins ou les préférences du chef, auteur inclus par complaisance alors qu'il n'a aucune part dans les travaux, etc.). Certains journaux tentent d'y remédier en exigeant des auteurs qu'ils précisent quelle a été leur part effective du travail fourni.
La rédaction peut maintenant commencer, et il va de soi qu'elle repose essentiellement sur les épaules des auteurs principaux. Au fil des sections Introduction, Méthodes, Résultats, Discussion, ceux-ci rédigent tour à tour le manuscrit (en anglais scientifique), valorisant leur démarche, la qualité et la portée de leurs résultats, tout en respectant les contraintes du journal cible: mettre ou non l'accent sur les méthodes employées, sur les applications potentielles (sans oublier le nombre limite de caractères), etc. Une fois que les auteurs ont achevé leur manuscrit et se sont mis d'accord sur son contenu, il peut être soumis au journal. Le manuscrit est alors aiguillé vers un éditeur, chercheur du même domaine que celui dont traite l'article, attaché à la revue et chargé de choisir deux, parfois trois, referees. Ces derniers, aussi appelés "riviouheurs" dans le joyeux franglais de la recherche, constituent le comité de lecture responsable de la peer-review. A la différence de l'éditeur, ils ne sont pas rattachés au journal, mais comme lui, ils sont choisis parmi les chercheurs du domaine et sont donc fréquemment des concurrents des auteurs. Pour cette raison, il resteront anonymes tout au long du processus, bien que souvent leur identité soit subodorée. Leur travail consiste en une lecture critique du manuscrit portant principalement sur les aspects scientifiques; l'ensemble de leurs critiques est adressé à l'éditeur, qui en fait la synthèse. Selon la décision de l'éditeur, trois cas de figure peuvent se présenter:
1) le papier est accepté, les auteurs fêtent ça lors d'un pot;
2) le papier est accepté sous réserve d'y apporter les modifications suggérées par les referees ou l'éditeur, le chef du labo remet le cidre au frais;
3) le papier est rejeté, les auteurs recommencent tout pour le soumettre à un journal un peu moins prestigieux. Il arrive que les auteurs d'un papier rejeté fasse appel à l'arbitrage de l'éditeur lorsqu'ils soupçonnent un referee de partialité ou d'incompétence, mais c'est rare.
Détail à ne pas négliger, publier un article coûte couramment quelques centaines à quelques milliers de dollars, selon le nombre d'illustrations en couleurs. Ne vous en faites pas, le directeur de recherche est souvent plus qu'heureux de dépenser cet argent.
Prenons un exemple simple, comme un thésard. Sa journée est remplie d'expériences diverses, de "manips", et certains de ses résultats le conduisent à une troublante découverte: le gène truC est impliqué dans la voie de signalisation MasH-1. Incroyable! Il en fait aussitôt part à son directeur de thèse, qui va le renvoyer dans ses vingt-deux mètres d'un "oui, c'est intéressant, mais on va quand même commencer par vérifier, des fois que ce serait un artefact"... Et par "on", le directeur de thèse veut dire: "tu". Pendant des mois, le thésard va donc confirmer sa découverte par plusieurs moyens indépendants lorsque c'est possible, répéter les expériences, éclaircir le mode d'action du produit du gène truC, la protéine TruC, en démontrant qu'elle active la voie MasH-1 en se liant à un complexe, un dimère de Dopamine-Uridine-Leucine-Ethylamine (oui, le fameux complexe bi-DULE). Lorsque l'ensemble des résultats et de leurs interprétations constitue une histoire cohérente qui accroît significativement notre connaissance de la voie MasH-1, le chef du projet (en l'occurrence le directeur de thèse) prend la décision de publier.
Avant même de commencer la rédaction, il faut choisir le journal auquel on va soumettre l'article, et ce pour une raison simple: ce choix va influer sur la rédaction. Or, il est inutile de perdre du temps à soumettre un article pauvre en résultats à Science, et il est assez déconseillé de dévaloriser ses travaux en publiant dans le Quaterly Journal of Finnish Microbiology. Le temps est précieux: la rédaction occupe quelques mois à temps partiel, la réponse du journal quelques semaines, un délai pendant lequel des concurrents peuvent publier la même chose, ou pendant lequel un des auteurs aimerait bien se faire valoir d'une publication supplémentaire devant un jury de thèse ou de recrutement. Un bon chercheur doit donc bien évaluer les probabilités de voir son papier accepté dans une revue donnée, et ce afin de bien choisir son journal cible .
Deuxième préambule indispensable à la rédaction, définir l'ordre des auteurs. En effet, les auteurs des articles sont cités dans un ordre chargé de sens: le premier nom est celui qui a le plus travaillé sur les expériences, le dernier est le responsable du projet. Le deuxième est donc un collaborateur qui a fait un peu moins de manips, l'avant-dernier est son chef, et ainsi de suite. Pour résumer, les deux noms importants sont le premier et le dernier (des ex-aequo sont possibles à chaque position), alors que l'on trouve dans le milieu les personnes ayant ponctuellement fourni un travail expérimental (bien que souvent crucial). Les membres des jurys sont évidemment très au fait de ces arcanes de la recherche et n'accordent que peu d'importance aux papiers dont vous n'êtes pas l'auteur principal, et c'est pourquoi certains conflits peuvent survenir entre post-docs ou thésards dans le besoin de publications. L'ordre des auteurs étant si important, il est parfois sujet à manipulations (inversion de noms selon les besoins ou les préférences du chef, auteur inclus par complaisance alors qu'il n'a aucune part dans les travaux, etc.). Certains journaux tentent d'y remédier en exigeant des auteurs qu'ils précisent quelle a été leur part effective du travail fourni.
La rédaction peut maintenant commencer, et il va de soi qu'elle repose essentiellement sur les épaules des auteurs principaux. Au fil des sections Introduction, Méthodes, Résultats, Discussion, ceux-ci rédigent tour à tour le manuscrit (en anglais scientifique), valorisant leur démarche, la qualité et la portée de leurs résultats, tout en respectant les contraintes du journal cible: mettre ou non l'accent sur les méthodes employées, sur les applications potentielles (sans oublier le nombre limite de caractères), etc. Une fois que les auteurs ont achevé leur manuscrit et se sont mis d'accord sur son contenu, il peut être soumis au journal. Le manuscrit est alors aiguillé vers un éditeur, chercheur du même domaine que celui dont traite l'article, attaché à la revue et chargé de choisir deux, parfois trois, referees. Ces derniers, aussi appelés "riviouheurs" dans le joyeux franglais de la recherche, constituent le comité de lecture responsable de la peer-review. A la différence de l'éditeur, ils ne sont pas rattachés au journal, mais comme lui, ils sont choisis parmi les chercheurs du domaine et sont donc fréquemment des concurrents des auteurs. Pour cette raison, il resteront anonymes tout au long du processus, bien que souvent leur identité soit subodorée. Leur travail consiste en une lecture critique du manuscrit portant principalement sur les aspects scientifiques; l'ensemble de leurs critiques est adressé à l'éditeur, qui en fait la synthèse. Selon la décision de l'éditeur, trois cas de figure peuvent se présenter:
1) le papier est accepté, les auteurs fêtent ça lors d'un pot;
2) le papier est accepté sous réserve d'y apporter les modifications suggérées par les referees ou l'éditeur, le chef du labo remet le cidre au frais;
3) le papier est rejeté, les auteurs recommencent tout pour le soumettre à un journal un peu moins prestigieux. Il arrive que les auteurs d'un papier rejeté fasse appel à l'arbitrage de l'éditeur lorsqu'ils soupçonnent un referee de partialité ou d'incompétence, mais c'est rare.
Détail à ne pas négliger, publier un article coûte couramment quelques centaines à quelques milliers de dollars, selon le nombre d'illustrations en couleurs. Ne vous en faites pas, le directeur de recherche est souvent plus qu'heureux de dépenser cet argent.
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