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Le blog des Bactéries et de l'Evolution

Les chercheurs en font-ils trop?

18 Septembre 2010 , Rédigé par Benjamin Publié dans #Le monde de la recherche

Pour commencer en douceur, je vous invite à lire cette longue citation tirée d'un ouvrage de fiction: 


"We've got to be careful here, [Interlocuteur]. You ever listened to anybody from the Institute for Creation Research? They spout absolute gibberish about the origin of life, but you can see people in the audience nodding their heads and agreeing with them -- the creationists say the scientists don't know what they're talking about, and they're right, half the time we don't. We open our mouths too early, all in some desperate bid for primacy, for credit. But every time we're wrong -- every time we say we've made a breakthrough in the fight for a cure for cancer or we've solved a fundamental mystery of the universe and then have to turn around a week or a year or a decade later and say, oops!, we were wrong, we didn't check our facts, we didn't know what we were talking about -- every time that happens we give a boost to the astrologers and creationists and New Agers and all the other ripoff artists and charlatans and just plain nut cases. We are scientists, [Interlocuteur] -- we're supposed to be the last bastion of rational thought, of verifiable, reproducible, irrefutable proof, and yet we're our own worst enemies."

 

Première étape, le bacterioquizz: saurez-vous me donner le titre de l'ouvrage duquel est tiré cet extrait? C'est un peu difficile, je vous donne un indice: les scientifiques qui discutent ici travaillent au CERN. On appréciera tout de même la mention des créationnistes, sur ce blog l'évolution n'est jamais très loin.


Sur le fond, le jugement porté sur les scientifiques est bien sûr un peu sévère, pour les besoins de l'intrigue, mais regardons-y de plus près. Sans quitter mon bureau, je peux citer mon exemplaire de La Recherche du mois de septembre, où il est question d'astrophysique: "l'annonce bien orchestrée [...] avait fait grand bruit. Comme La Recherche vous l'a relaté au printemps dernier, le soufflé est un peu retombé , les données n'étant pas suffisantes statistiquement pour établir la découverte". En recopiant ce passage, je m'aperçois que j'ai bien fait de mentionner la discipline, tant ces faits sont monnaie courante dans tous les domaines. En l'occurrence, on appréciera le rôle modérateur de La Recherche, mais force est de constater que les media peuvent avoir leur part dans de tels "soufflés", comme s'en amuse Jorge Cham (bonus sur SMBC comic). C'est ainsi que Craig Venter a été le "premier à recréer la vie en laboratoire"... à trois reprises!


Admettons que certains chercheurs s'écartent parfois de la rigueur et de l'intégrité qui -en principe- caractérise leur activité. Malheureusement, il ne suffit pas d'être scientifique de métier pour devenir un modèle d'objectivité, comme l'illustre l'histoire de la découverte des rayons N par René Blondlot au début du siècle dernier. Probablement de bonne foi, ce respectable physicien "reproduisit" l'observation de ces rayons, en présence de son confrère et contradicteur Robert Wood... qui avait au préalable saboté le dispositif expérimental. Il n'y a pas plus de rayons N que de beurre en broche, et il faudra attendre un petit moment avant que la ville de Nancy ne donne pour de bon son initiale à un rayonnement.  


Oui, les chercheurs peuvent en faire trop, allez trop vite, ne pas vérifier leurs résultats autant de fois qu'ils le devraient, ou encore exagérer dans la promotion de leurs découvertes. Si on laisse de côté l'intéressante question des conséquences (évoquées dans la citation ci-dessus), les causes de ces "manquements à l'esprit scientifique" peuvent relever de la satisfaction de l'égo, des intérêts particuliers... ou même de l'habitude.


Mais il y a une autre raison, tout aussi humaine, mais qui à mes yeux rachète les autres: l'enthousiasme. Les chercheurs ne sont pas des machines rigoureusement objectives, et après tout, tant mieux. Leur passion, si elle peut parfois éloigner de la stricte objectivité scientifique, est ce qui rend la recherche si vivante et si humaine. A ce propos, j'aime bien cette touchante anecdote que m'a narrée un de ses témoins, non sans émotion. Elle concerne Jacques Monod, fameux chercheur qui en étudiant la régulation de l'opéron lactose fut le premier à montrer que l'expression des gènes pouvait changer en fonction des paramètres du milieu (et obtint le prix Nobel en 1965 avec François Jacob et André Lwoff). Quelques années après cette découverte majeure, il devait montrer que dans le cas de certaines enzymes, la reconnaissance d'une molécule induisait un changement de conformation qui modifiait ses propriétés catalytiques. Ce modèle dit allostérique fournissait une explication élégante à l'apparente adaptation des protéines à leur environnement, particulièrement pertinente dans le cas de l'hémoglobine, par exemple. Un beau jour, on vit ainsi Jacques Monod entrer dans le laboratoire de son équipe, sortir la bouteille de whisky du laboratoire*, s'en servir une bonne lampée ("it's not very scientific, but it helps", disait ce bon vieux Fleming), avant de déclarer: "les enfants... j'ai découvert le deuxième mystère de la vie!".

 

 

* dans mon labo de thèse était cachée une bouteille de rhum pour ces occasions, pas toujours aussi révolutionnaires

 

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dans mon labo de thèse était cachée une bouteille de rhum pour ces occasions, pas toujours aussi révolutionnaires
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