Expérimentation animale et barres chocolatées
En vagabondant sur le fabuleux destin du pingouin, je suis tombé sur une vidéo contre l'expérimentation animale. Je vous laisse la regarder, après quoi je vous proposerai ma propre lecture.
A vrai dire, je me moque du cas de Mars, qui doit se contenter de faire un peu de R&D sur l'obésité, et à vrai dire, le documentaire s'en fiche pas mal lui aussi: comme on l'apprend à la fin de la vidéo, il montre des tests non pratiqués par la compagnie (et pourquoi diantre un confiseur chercherait-il à implanter un port série dans le crâne d'un chat?). Il s'agit bien d'un document à charge contre l'expérimentation animale en général. En dehors de la mise en scène et des techniques classiques de manipulation (à la guerre comme à la guerre), la vidéo emploie à cet effet des arguments qui ont fait bondir le biologiste que je suis, même si je n'utilise pas d'animaux, et même si je ne cautionne pas systématiquement ce genre de tests.

"Homme / souris : pas de correspondance" (1'30)
Voici un argument qui doit être très efficace! C'est évident, que peut nous apprendre une souris de la biologie humaine? Les deux sont complètement différents, non? Voilà qui me permet de rappeler que dans un monde sans sentiments, l'expérimentation serait idéalement menée sur des humains (ce qui arrive parfois), et qui m'amène à introduire une notion qui sera bien utile aujourd'hui, la notion de modèle. Un modèle, qu'il soit biologique, informatique, mathématique, qu'il soit un schéma sur un tableau, une simulation sur un ordinateur ou une culture de cellules, c'est une représentation simplifiée de la réalité, bien utile lorsqu'on ne peut manipuler directement cette réalité, pour des raisons pratiques (changer la masse du soleil) ou éthiques (prouver qu'un produit est mortel pour l'homme). La souris est un de ces modèles, et parmi les plus utiles qui soient en biologie: c'est un animal pas trop gros, prolifique, avec un cycle de développement court, qualités qui en font un modèle pratique. Surtout, la souris est plus proche de l'homme qu'on ne le pense: ce sont deux mammifères avec les mêmes organes et des ensembles de gènes très similaires, ce qui fait de la souris un modèle pertinent pour étudier la biologie humaine, au point que de nombreuses avancées fondamentales ou médicales sont passées par ce petit rongeur.
"Maintenant que nous avons séquencé le génome humain, pourquoi continuer à tourmenter des primates?" (1'40)
Autrement dit, pourquoi faire des expériences "grandeur nature" avec tous leurs inconvénients alors que nous disposons de l'ensemble de l'information génétique humaine? C'est sans doute un peu de la faute des scientifiques, qui ont trop vendu leurs projets de séquençage, à moins qu'ils en aient trop espéré. Vous savez ce que c'est, quand on soumet un projet de recherche pour obtenir un financement, il faut promettre de guérir Alzheimer, le SIDA et l'obésité... Ce penchant n'a pas de conséquences entre scientifiques qui connaissent la portée relative de ces promesses et emploient les précautions rhétoriques d'usage, mais il devient un problème quand on est pris au mot, par naïveté ou par mauvaise foi. Il est temps de faire éclater la vérité au grand jour: la séquence du génome humain n'explique pas toute la physiologie humaine. La séquence d'un génome est certes une importante mine d'informations et un outil formidable pour les généticiens, mais si vous me permettez une analogie, c'est comme posséder tous les mots d'un livre dans le désordre: on sait qu'ils doivent avoir un sens, mais les ordonner est simplement trop complexe tant qu'on ne sait pas lequel.
Plus loin, on retrouve des affirmations équivalentes: "nous avons des cultures cellulaires, alors pourquoi continuer de torturer des animaux?"
On retombe encore sur la question des modèles et de leur pertinence. Par exemple, on "peut cloner de la peau" (si l'on peut dire...) pour étudier les brûlures, mais pour les scientifiques qui s'intéressent aux infections des peaux brûlées, il faut un modèle qui intègre un système immunitaire... c'est-à-dire un animal. De même, les organes ne peuvent être construits en laboratoire: coeur, foie, cerveau... et sont plus complexes que la somme de leurs cellules, sans parler de la difficulté de cultiver ces dernières.
"Tout cela est non scientifique car imprécis" (de manière plus ou moins subliminale autour de 2'50)
Mon Dieu! Il faut très vite en informer les milliers de thésards qui à travers le monde utilisent des modèles animaux! Tant que nous y sommes, il faut aussi dire aux astrophysiciens que les étoiles qu'ils simulent dans leurs ordinateurs ne sont pas vraies, et aux mathématiciens qu'ils emploient toujours une valeur approchée de pi! Rassurons tout le monde: ce n'est pas parce qu'on utilise des approximations ou des modèles qui ne sont pas l'exact reflet de la réalité que la démarche n'est pas "scientifique" et que les résultats sont totalement invalides. Ou alors, c'est un sacré miracle que l'on ait réussi à développer tous ces vaccins sur des animaux, découvrir les mécanismes de la génétique chez la mouche, la bactérie et la levure, ceux du développement chez l'oursin et la grenouille.
Moralité : il ne faut pas croire tout ce que dit un comédien avec une blouse blanche. Si après ça vous avez envie de me lyncher, prêtez attention à ce qui suit: je n'affirme pas que Mars a raison de mener ses tests, ni que ces derniers sont un mal toujours nécessaire. Par exemple, je ne suis pas convaincu de l'utilité de mettre des primates en cage pour tester des cosmétiques. En revanche, il me semble qu'être pour ou contre l'expérimentation animale dépend de l'idée que l'on se fait des animaux, c'est une posture éthique. Si l'on abandonnait demain cette pratique, ce serait pour des raisons éthiques, mais en aucun cas parce que dans l'absolu elle est inutile à la science ou non valable scientifiquement. On peut affirmer que c'est mal de disséquer un chimpanzé, mais pas prétendre que l'on ne peut rien en apprendre sur la biologie humaine. En attaquant sur les deux fronts sans discernement, cette vidéo propage de fausses conceptions de ce qu'est la science expérimentale.
Au sujet de l'expérimentation animale, je devrais peut-être préciser que l'immense majorité des chercheurs n'y prend aucun plaisir, que les responsables de ce genre de travaux reçoivent une formation spécifique (du moins en France), et enfin qu'elle est contraignante et très coûteuse. Lorsque l'on peut s'en passer grâce à une culture cellulaire ou par la contemplation du génome, on hésite rarement.
Finalement, je ne suis pas surpris: cette campagne provient de l'association PETA, qui propose (sans rire) de remplacer le lait de vache par du lait... humain dans l'alimentation humaine. Délicieux, sans aucun doute, mais probablement insuffisant en volume, et un peu cher (sans même aborder la question des circuits de distribution...). Dernier sacrilège en date, double celui-ci: proférer des absurdités sur le fromage et ses bactéries!
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