Classement mondial des universités, château Shangaï, cuvée 2008
Dans quelques jours sera officialisé le fameux "classement Shangaï", un classement mondial des universités sur des critères académiques, dont on peut déjà avoir un aperçu ici, et qui suscite d'abondants commentaires. Survolons rapidement les résultats de ce classement, où, comme d'habitude:
-Harvard domine de la tête et des épaules, tandis que sur la côte Ouest, les éternelles rivales Stanford et Berkeley se tirent la bourre sur le podium.
-Cambridge et Oxford sont dans le top 10 (respectivement à la 4ème et à la 10ème places), et les seules à le disputer aux établissements américains.
-La France fait bien piètre figure dans le top 100, où 3 universités figurent: Paris VI (42ème aex.), Paris XI (49ème), et l’Ecole Normale Supérieure (73ème), dont pourtant chacun sait qu’elle n’est pas une université. La France se placerait donc au 7ème rang mondial, laissant sa 6ème place de 2007 à la Suède.
Enfin, comme d'habitude, dès qu’il est connu en France, ce classement s’attire fréquemment les mêmes critiques, de la part des universitaires comme des politiques (notamment de la FAGE, qu'on entend beaucoup sur le sujet): il avantage trop les universités anglo-saxonnes, privilégie la recherche au lieu de la pédagogie, ne prend en compte que les publications anglophones, ignore les différences de budget entre les établissements, etc. Alors, critiques fondées ou râleries « à la française » ?
Tout d'abord, reconnaissons que le classement Shangai ne convient pas aux universités françaises. En effet, en France, la recherche est l'apanage d'instituts hérités de l'après-guerre (CNRS, INSERM, CEA, INRA...), alors que dans l'enseignement supérieur les meilleurs étudiants préfèrent s'orienter vers les prépas et grandes écoles (vous pouvez ne pas être d'accord, mais c'est un avis que partagent bien des maîtres de conférence, soit des enseignants de l'université), grandes écoles qui sont (malheureusement?) trop peu tournées vers la recherche. Contrairement aux établissements anglo-saxons, les universités françaises ne sont donc ni le top de la recherche, ni le top de l'enseignement dans leur pays (bien qu'elles soient les seules à faire les deux à grande échelle), alors comment l'être au niveau mondial?
Les critères du classement reflètent bien cette différence de conception: ils avantagent les universités dont les étudiants et les chercheurs ont reçu des grandes récompenses (médailles Fields, prix Nobel), ont publié dans les plus grandes revues scientifiques (Nature et Science only), comptabilise le nombre total d'articles publiés dans des revues internationales, le nombre de chercheurs abondamment cités... le tout un peu pondéré par le nombre de personnels académiques de l'établissement. On voit que cela n'avantage pas nos universités bien françaises, mais pouvez-vous me citer un critère qui permettrait de souligner leur excellence? Ha oui, la FAGE suggère de prendre en compte les moyens financiers des universités pour effectuer un meilleur classement. Avec des frais d'inscription par étudiant inférieurs à son forfait de téléphone portable, des budgets de misère et des personnels non payés, c'est certain qu'on est les champions du monde libre. La FAGE, encore elle, soutient que ce classement ne permet pas de juger de "la pertinence pédagogique et scientifique des universités françaises", ce gardant bien d'expliciter ce qu'est cette pertinence! Encore une fois, je ne vois pas de critère pédagogique ou scientifique qui permettrait à nos établissements de tirer leur épingle du jeu. Non, la seule explication est que le classement Shangaï ne peut être flatteur que pour des universités qui sont au centre de l'enseignement supérieur et de la recherche, ce qui n'est pas le cas en France.
Dernière critique, peut être la plus absurde: la "prédominance des publications anglophones" dans ce classement. Il faudrait sans doute rappeler que la recherche est par essence une activité mondialisée, ce qui justifie au passage l'existence de classements mondiaux, surtout depuis qu'enseignants, étudiants et chercheurs voyagent. Une langue s'est donc imposée dans le domaine scientifique, et cette langue c'est l'anglais. Oui, le monde est cruel, les scientifiques doivent lire et écrire en anglais. On devrait pourtant s’en réjouir, parce que tout de même l’anglais c’est beaucoup plus facile que le latin qui a longtemps été en usage, ou que le chinois, qui pourrait l'être un jour. Je ne sais même pas pourquoi je discute, publier en anglais c'est la règle du jeu, et s'y soustraire est un aveu d'échec.
Pour ma part, je tiendrais le classement Shangaï pour un classement de prestige plutôt que de qualité intrinsèque, et encore, un prestige qui serait plutôt perçu par un public assez large, qui n'aurait connaissance que des prix Nobel, des Nature et des Science, et une vague idée du reste. J’ai donc trois questions rhétoriques à vous poser en guise de conclusion :
-est-il possible d'établir un classement mondial objectif, quantifié, qui satisferait tous les pays avec leurs propres définitions de l'université, un classement qui rendrait compte de la qualité pédagogique et scientifique des universités et non de leur prestige?
-Quand bien même, prestige et performance sont-ils totalement décorrélés?
-Veut-on en France des universités mondialement prestigieuses? Si oui, peut-on faire les mauvais perdants et disqualifier aussi facilement le classement Shangaï?
On peut toujours faire un classement européen, ce qui est d'ailleurs prévu par nos ministres, classement qui se limitera bientôt à l'Europe continentale, puis on pourrait établir un classement francophone, ensuite un classement français... bref, fermer les yeux et serrer les poings en imaginant très fort qu'on est les meilleurs. Comme dit en substance Valérie Pécresse, ces classements ne sont pas parfaits, mais ils existent, et dans aucun d'entre eux la France n'occupe une position qui permettrait de se reposer sur les lauriers de la "pertinence pédagogique" ou de "l'excellence de la recherche".
-Harvard domine de la tête et des épaules, tandis que sur la côte Ouest, les éternelles rivales Stanford et Berkeley se tirent la bourre sur le podium.
-Cambridge et Oxford sont dans le top 10 (respectivement à la 4ème et à la 10ème places), et les seules à le disputer aux établissements américains.
-La France fait bien piètre figure dans le top 100, où 3 universités figurent: Paris VI (42ème aex.), Paris XI (49ème), et l’Ecole Normale Supérieure (73ème), dont pourtant chacun sait qu’elle n’est pas une université. La France se placerait donc au 7ème rang mondial, laissant sa 6ème place de 2007 à la Suède.
Enfin, comme d'habitude, dès qu’il est connu en France, ce classement s’attire fréquemment les mêmes critiques, de la part des universitaires comme des politiques (notamment de la FAGE, qu'on entend beaucoup sur le sujet): il avantage trop les universités anglo-saxonnes, privilégie la recherche au lieu de la pédagogie, ne prend en compte que les publications anglophones, ignore les différences de budget entre les établissements, etc. Alors, critiques fondées ou râleries « à la française » ?
Tout d'abord, reconnaissons que le classement Shangai ne convient pas aux universités françaises. En effet, en France, la recherche est l'apanage d'instituts hérités de l'après-guerre (CNRS, INSERM, CEA, INRA...), alors que dans l'enseignement supérieur les meilleurs étudiants préfèrent s'orienter vers les prépas et grandes écoles (vous pouvez ne pas être d'accord, mais c'est un avis que partagent bien des maîtres de conférence, soit des enseignants de l'université), grandes écoles qui sont (malheureusement?) trop peu tournées vers la recherche. Contrairement aux établissements anglo-saxons, les universités françaises ne sont donc ni le top de la recherche, ni le top de l'enseignement dans leur pays (bien qu'elles soient les seules à faire les deux à grande échelle), alors comment l'être au niveau mondial?
Les critères du classement reflètent bien cette différence de conception: ils avantagent les universités dont les étudiants et les chercheurs ont reçu des grandes récompenses (médailles Fields, prix Nobel), ont publié dans les plus grandes revues scientifiques (Nature et Science only), comptabilise le nombre total d'articles publiés dans des revues internationales, le nombre de chercheurs abondamment cités... le tout un peu pondéré par le nombre de personnels académiques de l'établissement. On voit que cela n'avantage pas nos universités bien françaises, mais pouvez-vous me citer un critère qui permettrait de souligner leur excellence? Ha oui, la FAGE suggère de prendre en compte les moyens financiers des universités pour effectuer un meilleur classement. Avec des frais d'inscription par étudiant inférieurs à son forfait de téléphone portable, des budgets de misère et des personnels non payés, c'est certain qu'on est les champions du monde libre. La FAGE, encore elle, soutient que ce classement ne permet pas de juger de "la pertinence pédagogique et scientifique des universités françaises", ce gardant bien d'expliciter ce qu'est cette pertinence! Encore une fois, je ne vois pas de critère pédagogique ou scientifique qui permettrait à nos établissements de tirer leur épingle du jeu. Non, la seule explication est que le classement Shangaï ne peut être flatteur que pour des universités qui sont au centre de l'enseignement supérieur et de la recherche, ce qui n'est pas le cas en France.
Dernière critique, peut être la plus absurde: la "prédominance des publications anglophones" dans ce classement. Il faudrait sans doute rappeler que la recherche est par essence une activité mondialisée, ce qui justifie au passage l'existence de classements mondiaux, surtout depuis qu'enseignants, étudiants et chercheurs voyagent. Une langue s'est donc imposée dans le domaine scientifique, et cette langue c'est l'anglais. Oui, le monde est cruel, les scientifiques doivent lire et écrire en anglais. On devrait pourtant s’en réjouir, parce que tout de même l’anglais c’est beaucoup plus facile que le latin qui a longtemps été en usage, ou que le chinois, qui pourrait l'être un jour. Je ne sais même pas pourquoi je discute, publier en anglais c'est la règle du jeu, et s'y soustraire est un aveu d'échec.
Pour ma part, je tiendrais le classement Shangaï pour un classement de prestige plutôt que de qualité intrinsèque, et encore, un prestige qui serait plutôt perçu par un public assez large, qui n'aurait connaissance que des prix Nobel, des Nature et des Science, et une vague idée du reste. J’ai donc trois questions rhétoriques à vous poser en guise de conclusion :
-est-il possible d'établir un classement mondial objectif, quantifié, qui satisferait tous les pays avec leurs propres définitions de l'université, un classement qui rendrait compte de la qualité pédagogique et scientifique des universités et non de leur prestige?
-Quand bien même, prestige et performance sont-ils totalement décorrélés?
-Veut-on en France des universités mondialement prestigieuses? Si oui, peut-on faire les mauvais perdants et disqualifier aussi facilement le classement Shangaï?
On peut toujours faire un classement européen, ce qui est d'ailleurs prévu par nos ministres, classement qui se limitera bientôt à l'Europe continentale, puis on pourrait établir un classement francophone, ensuite un classement français... bref, fermer les yeux et serrer les poings en imaginant très fort qu'on est les meilleurs. Comme dit en substance Valérie Pécresse, ces classements ne sont pas parfaits, mais ils existent, et dans aucun d'entre eux la France n'occupe une position qui permettrait de se reposer sur les lauriers de la "pertinence pédagogique" ou de "l'excellence de la recherche".
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