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Le blog des Bactéries et de l'Evolution

Irréversible

23 Janvier 2007 , Rédigé par Benjamin Publié dans #Environnement

Au risque de décevoir les bactérionautes cinéphiles, je ne parlerai pas dans ce billet du film où apparaît Monica Belluci, mais je parlerai plutôt de morue. Comment ça, “la différence est subtile”?

Tout commence avec un éditorial du magazine Pour la Science, intitulé “références glissantes”: l’auteur y expliquait que les dégradations de la nature, du climat, bien que fulgurantes à l’echelle géologique, étaient peu perceptibles à l‘echelle de la vie de l’homme, pourtant responsable de beaucoup de ces changements. Par exemple, le dauphin “commun” (Delphinus delphis) est devenu bien rare en méditerranée, et ça ne nous étonne pas, car ce déclin s'est étalé sur des siècles. Le dernier arbre de l’île de Pâques n’était probablement qu’une jeune pousse fauchée dans un champ (objet d’un billet à venir), alors que tous les Pascuans s’étaient progressivement habitués à une île de moins en moins boisée. Un autre exemple qui m’a frappé est la morue: l’auteur affirmait que les morues pêchées en Atlantique mesuraient un mètre en moyenne il ya un siècle, contre moins de trente centimètres aujourd’hui; effectivement, nous nous habituons à un océan progressivement vidé de ses poissons. J’interprétais donc ces chiffres (en admettant sur le moment qu’ils fussent vrais) comme un marqueur de l’intensité de la pêche : nous avons pêché et mangé la majorité des morues de plus d’un mètre, nous nous attaquons désormais aux morues plus jeunes. Or, dans les quelques endroits où des mesures de conservation ont été prises (le Labrador par exemple), les stocks de ce poisson stagnent à un niveau inquiétant. Des siècles avant, les premiers explorateurs écrivaient que la morue infestaient les eaux! Là encore, j’invoquais en mon for intérieur la fragilité d’une population aux effectifs réduits, explication qui fonctionne assez souvent.

J’ai commis un peché mortel qui ne me ressemble pas : oublier le rôle de l’évolution…

Je devais trouver la solution par hasard dans un livre que je viens de finir, intitulé “The making of the fittest” quis’intéresse aux effets de l’évolution à l’echelle de l’ADN. Au passage, ce livre est excellent pour tous les évo-sceptiques qui peuvent lire l’anglais… Les derniers chapitre traitent de la sélection “non naturelle” exercée par l’homme, en particulier sur la morue: du fait du tri des poissons pêchés (par les filets notamment), nous avons contre-selectionné les morues de grande taille, ce qui coïncide avec leur âge de reproduction. Progressivement, les morues sont donc devenues plus précoces dans leur développement (tout simplement parce que leurs parents précoces étaient épargnés par la pêche, et ont donc eu plus de rejetons), ce qui revient à dire (et il m’en coûte) que ma première interprétation était fausse! Les morues ne sont pas seulement plus petites car plus jeunes, elles sont aussi plus petites même adultes, car plus précoces du fait de la pression de sélection sévère exercée par la pêche. Bien sûr, ce ne sont pas que des hypothèses livresques, j’ai depuis trouvé d’autres publications (ici et ) qui valident les mêmes résultats.
Morue (Gadus morhua) ou cabillaud

En effet, une morue de trente centimètres à l’âge adulte n’est plus le super-prédateur qu’il était mesurant un mètre: combien de poissons ne peut-elle plus chasser alors! La morue n’a donc plus sa place au bout de la chaîne alimentaire, et il n’y a aucune raison pour qu’elle parvienne à faire le chemin évolutif inverse. Il se peut donc que les conséquences de la surpêche soient irréversibles, et qu'il ne suffise pas d'arrêter pour revoir les choses retourner tranquillement à leur état initial. L’auteur de l’éditorial dont il était question plus haut nous prédisait un océan “peuplé uniquement de bactéries et de méduses”. Des bactéries, soit, mais je déteste les méduses!

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U
Pourquoi ça ne serait pas réversible ? La pression de pêche ayant disparu, les morues les plus grandes sont à nouveau favorisées parce qu'elles chassent mieux...? Disons que si le problème est évolutif, il sera un peu plus long à corriger que s'il est juste démographiqe.
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U
Loulou : "pour une proportion donnée de proies et de prédateurs, on arrive presque toujours, à l'échelle des temps géologiques, à l'équilibre le plus stable". Tu dis là que si on est à l'équilibre, eh bien on est à l'équilibre. <br /> "Equilibre stable" signifie d'habitude "équilibre résistant aux petites perturbations", comme fais remarquer Benjamin. Là, tu voulais dire que le système est linéaire, c'est à dire que si on supprime une perturbation on retourne à l'état antérieur.<br /> Je pense que tu fais référence au modèle proie-prédateur de Lotka-Voltera, qui est à base d'équations différentielles, qu'on voit d'habitude appliqué à des lapins et des renards. C'est un beau modèle, mais il est très insuffisant pour la plupart des situations réelles. Etre optimiste pour les morues sur la base de deux équations hyper générales écrites en 1925 me semble un peu léger.  <br /> Bisous<br />  
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B
Soit les équilibres sont sensibles aux perturbations, soit ils sont stables, mais il faut choisir...Lorsqu'une population est en petit nombre, elle est d'autant plus sensible aux aléas et risque d'autant plus l'extinction; Si parmi 1000 individus, 5 meurent par malchance pure, alors c'est proportionnellement une catastrophe!Ici ce n'est pas qu'une histoire de dynamique des populations, mais aussi d'évolution : on peut considérer qu'on a retiré de le population de morue les gènes qui en faisaient des gros poissons, donc des prédateurs au bout de la chaîne alimentaire et qui leur permettrait de reprendre leur place dans l'écosystème. Personne ne peut prédire combien de temps cela prendra de refaire le chemin évolutif inverse ; ce chemin est d'autant plus difficile que : -la population est petite et hors équilibre-toujours sous sélection pour une petite taille-en concurrence avec d'autres gros poissons (plus beaucoup, je te l'accorde)En résumé, nous pourrions très bien avoir virtuellement éteint certaines espèces de morues, car la sélection très sévère sur leurs gènes agit comme un poison latent... Elles ne le savent pas encore.(une belle initiative de conservation écologique : une réserve de morues a ouvert en France : on l'appelle la télé-réalité)
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L
Les équilibres établis entre proie et prédateurs sont certes très sensibles aux petites perturbations, mais ce sont le plus souvent des équilibres stables. Celui qui s'était établi entre la morue, ses proies et ses prédateurs ne peut être déplacé que si l'on fait changer significativement le nombre des proies et des prédateurs (nous) de la morue. Or pour une proportion donnée de proies et de prédateurs, on arrive presque toujours, à l'échelle des temps géologiques, à l'équilibre le plus stable.Ce qui veut dire qu'il y a de fortes chances que lorsque nous aurons disparu, on retrouve la morue avec sa taille et son poids optimaux pour l'environnement dans lequel elle se trouvera, i.e. sans doute les mêmes qu'autrefois, non ??
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T
Pardon?Pas de méduses? Même pas elle?...Joli billet, en tout cas, avec un exemple que j'approuve a fond (en tant que fervent défenseur des poissons, ce qui me vaut quelques surnoms assez particuliers dans ma promo :p)Le fait que le destin évolutif des espèces soit modifié devrait être amené plus souvent sur le devant de la scène, amha. On se focalise beaucoup sur l'aspect population, qui est important évidemment, mais il faut penser à plus long terme.Voir aussi, les différences de taille entre les mérous pris en un point p de la mediterranée, et ceux qui vivent dans des reserves (Banyuls, Scandola, ...) Impressionnant!
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