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Le blog des Bactéries et de l'Evolution

L'anormale mortalité des abeilles associée à un virus

7 Septembre 2007 , Rédigé par Benjamin Publié dans #Environnement

Comme tout apiculteur vous le dira, les abeilles domestiques (Apis mellifera) courent un danger préoccupant. En effet, ces sympathiques insectes hyménoptères produisent le précieux miel tout en pollinisant la plupart des plantes à fleurs, sauvages ou cultivées par l’homme (hors des céréales). Or, les abeilles meurent parfois soudainement loin de leur ruche, qui se vide de manière catastrophique ; aux Etats Unis, on a appelé ce phénomène qui touche un quart des apiculteurs du pays « colony collapse disorder » ou CCD, qui signifie littéralement « maladie de l’effondrement des ruches ».

abeille.JPG
Diverses explications ont été avancées : des parasites, dont les acariens parasites du genre Varroa, que l’on voit effectivement infecter des ruches, divers pesticides, les grandes monocultures, le changement climatique ou encore les ondes émises par les relais des téléphones portables … Jusque-là, aucun élément n’était décisif ; il fallait donc imaginer soit que les CCD sont multifactoriels, soit qu’il existe différents types de CCD qui ont chacun leur cause, soit que la cause des CCD était encore inconnue. Un article publié en ligne dans Science formule une nouvelle hypothèse : les abeilles seraient les victimes d’un virus, Israeli Acute Paralysis Virus of bee (IAPV), ou virus israélien de la paralysie aigue de l’abeille, qui comme son nom ne l’indique pas (ça arrive), aurait été importé d’Australie avec des ruches. Il est amusant de constater (ici et ) que les Australiens ne sont pas entièrement d’accord…

Les auteurs de ces travaux ont utilisé une approche « métagénomique » qu’il convient d’expliquer : le génome est l’ensemble des gènes d’un individu ou d’une espèce. Le métagénome est l’ensemble des gènes d’une population donnée, et la métagénomique est la méthode qui produit et utilise ce genre d’informations. Par exemple, on étudie fréquemment le métagénome des bactéries du sol, de la flore intestinale… C’est particulièrement efficace quand les différentes espèces d’un écosystème sont très nombreuses ou difficiles à séparer, ou encore lorsque l’on cherche parmi elles une fonction particulière (i. e. un gène particulier) plutôt qu'une espèce précise. Ici, les chercheurs suspectaient une cause microbienne au CCD, car l’irradiation (donc la stérilisation) du matériel apicole prévient la transmission de la maladie. Ils ont donc séquencé en masse les génomes des microbes trouvés dans des ruches saines et des ruches « effondrées », principalement en provenance des Etats Unis, mais aussi de la Chine et de l'Australie.  Une fois en possession des séquences des métagénomes de ruches saines et de ruches malades, il n’y avait plus qu’à les comparer pour en déduire quels microbes étaient présents dans ces dernières. Bien sûr, la plupart des microbes trouvés dans les ruches sont de gentils commensaux de l'abeille! Les auteurs identifient un candidat parmi d'autres,  l’IAPV, présent dans 25 ruches malades sur 30, contre seulement 1 ruche saine parmi 21 (je préfère employer les nombres bruts, plus parlants que les pourcentages, surtout quand il s’agit d’une ruche).

Vous avez remarqué que dans mon titre, j’ai « associé » le virus aux CCD, sans en faire la cause. Il est en effet possible qu’un autre facteur affaiblisse les ruches, qui sont alors une proie facile pour le virus. Par exemple, Varroa destructor a un effet immunosuppresseur sur l’abeille, qui devient alors plus sensible aux pathogènes. Pour montrer que l’IAPV est bien la cause des CCD, il faut se conformer aux postulats de Koch (détaillés dans ce billet !). C’est bien ce que projettent les scientifiques, en inoculant ce virus à des ruches saines ; s’il reste sans effet, il faudra en conclure que ce virus ne peut être la cause principale des CCD, mais seulement un bon marqueur du problème. A l'inverse, si la cause des CCD est effectivement infectieuse et pas seulement environnementale, je me demande si les pratiques apicoles ne sont pas à reconsidérer, notamment la concentration des ruches au même endroit, qui ne peut que favoriser la transmission des parasites.

De ces travaux, je retiens donc 1) une nouvelle piste assez convaincante pour expliquer le déclin des abeilles, et aussi 2) que parfois, la biologie moléculaire se met au service de l'environnement.

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L
Bonjour, Je viens de la campagne et j'ai discuté il y a quelques années avec un agriculteur qui connait un peu le milieu ; car comme vous savez les abeilles ont besoin de fleurs et celles ci sont cultivées. Et il me disait que le problème venait du fait que les apiculteurs ne laissent plus de miel dans les ruches et le remplace par du saccharose. En effet, le miel permet aux nouvelles abeilles d'avoir des défenses immunitaires. Je ne sais pas si ce dernier point est vrai, mais si c'est le cas, je ne pense pas qu'il faille à chercher plus loin. L'apiculture est comme n'importe quel secteur, sa loi c'est la recherche de profit.J'ai découvert le bacterioblog grâce à votre entrevue sur over blog. J'ai lu quelques articles et c'est un plaisir à lire. La remise en cause de nos idées reçues est une tâche essentielle de la vulgarisation et de la science même. La distinction entre progrès et évolution... un classique ! N'empèche que tout le monde continue à confondre. Bonne continuation !
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M
oups, je n'avas pas vu ton autre billet :=)
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M
Pour le coup, tu me "coupes le billet sous le pied", pour ainsi dire. Enfin pas de regret car il est certainement plus complet que ce que j'aurais pu écrire.Je n'arrive pas a me faire une opinion sur l'hypothèse que je pense probable, mais je me préoccupe pas mal de cette question. Qui a dit que les Hommes surviverait 3 ans si les abeilles disparaissaient, Einstein ? En tout cas il ne resterait que le blé, les patates et le riz en guise de légumes... 
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