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Le blog des Bactéries et de l'Evolution

Des mérites comparés des bactéries et des animaux

8 Janvier 2009 , Rédigé par Benjamin Publié dans #Evolution

Comme prévu, Charles Darwin est l'un des people de cette année 2009. Le célèbre savant fait l'objet d'un article dans le Figaro, qui consiste en un résumé de l'histoire de la théorie de l'évolution tout à fait classique (incluant l'existence de précurseurs de Darwin), mais comporte aussi quelques réflexions qui méritent qu'on y attarde. Commençons par un passage qui s'attaque à l'idée reçue selon laquelle l'évolution par sélection naturelle, c'est la "loi du plus fort":

On sait aujourd'hui que l'évolution n'est pas un long fleuve tranquille. Qu'elle a agi, et agit encore, par paliers et «bouffées». Qu'elle n'est pas une marche glorieuse vers toujours plus de sophistication et de complexité [...] Et que ce n'est pas l'être le plus fort, ou le plus intelligent, qui va forcément survivre, mais celui qui sera capable de s'adapter le mieux au changement. Quitte à devenir plus petit, moins complexe, moins «fort».


Voilà une remarque toujours utile: on conçoit souvent l'évolution par sélection naturelle comme un sanglant combat pour la survie. Or, selon Darwin himself, qui nous a prévenu contre bien des méprises du "darwinisme", "it is not the strongest of the species that survives, nor the most intelligent that survives. It is the one that is the most adaptable to change". Curieusement, on formule souvent cette nuance comme un développement récent de la théorie de l'évolution, alors qu'on la retrouve sous la plume même de Darwin.... L'article poursuit dans la même idée que le plus fort ne gagne pas toujours:

Une bactérie, qui se «reproduit» en se divisant toutes les vingt minutes, a beaucoup plus de chances adaptatives qu'un animal. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle peut, par exemple, développer aussi vite des résistances aux antibiotiques.


Magique! il est question d'évolution et de bactéries! Me voilà attiré comme une mouche par... heu, du miel! Voilà qui explique mon intérêt pour cet article (qui a d'ailleurs atterri dans la catégorie "bactérie" de mon agrégateur de flux RSS), et plus particulièrement pour ce passage qui me paraît un bon prétexte pour parler d'évolution, il y avait longtemps! Il est vrai qu'en évolution on mesure habituellement la valeur sélective (la "fitness") par le nombre de descendants eux-mêmes fertiles engendrés par unité de temps. Ainsi, tandis que les humains attendent (approximativement, et bêtement) 25 ans avant de se reproduire, une bactérie qui se divise toutes les vingt minutes a déjà (virtuellement) 2^(3*24*365*25) = un sacré paquet de descendants (de l'ordre de 10^497, si vous tenez aux chiffres). On pourrait s'amuser à intégrer les différents taux de mutations, mais le résultat est limpide:  la descendance des bactéries comporte de nombreux variants, et si l'un d'eux possède un grand avantage évolutif, il envahira rapidement la population.

D'un point de vue évolutif, il est donc vrai que les bactéries s'adaptent plus vite que les animaux, et je pense que c'est dans ce sens qu'il faut comprendre la tournure inhabituelle "avoir plus de chances évolutives". Mais doit-on conclure aussi que les bactéries sont mieux adaptées que les animaux, du fait de leur grand nombre de descendants (donc de leur fitness élevée) et de leur vitesse d'évolution?

Premièrement, à ma connaissance le seul environnement naturel qui autorise les bactéries à se multiplier toutes les vingt minutes est... l'intérieur d'un mammifère. Il y a une justice: les bactéries feraient moins les malignes (et moins les "adaptées") sans les animaux, et toc! C'était l'objection la plus facile, et aussi la moins pertinente.

Ensuite, si les animaux s'adaptent moins vite d'un point de vue évolutif, il ne sont pas pour autant dépourvus face au changement: ils possèdent d'autres systèmes pour faire face aux modifications de leur environnement, comme la physiologie et le système nerveux. En effet, lorsque l'environnement varie, notre foie, nos artères, notre cerveau, notre comportement ou notre bronzage s'adaptent. Ces systèmes eux-mêmes sont bien le produit d'une évolution, mais les adaptations qu'ils permettent ne procèdent pas de modifications du matériel génétique, les individus de la génération suivante n'en bénéficieront donc pas forcément.

Nous pouvons aussi nous rappeler les origines de la vie, en les simplifiant un peu: au début, seuls existaient des organismes unicellulaires, comme des bactéries, qui se reproduisent vite. Un beau jour, un organisme pluricellulaire du règne animal apparaît, le premier métazoaire, qui se reproduit certainement moins vite (doté de plusieurs cellules, il a plus de divisions à accomplir pour passer d'une cellule oeuf à un adulte capable de reproduction). Si cet organisme avait été moins adapté que les unicellulaires qui l'entourent, sa lignée aurait fini par s'éteindre. Or, nous sommes bien là pour témoigner du contraire! Les animaux n'ont donc pas moins de succès évolutif que les bactéries, bien qu'ils se reproduisent plus lentement.

Le noeud de ce paradoxe très superficiel, c'est qu'en dépit de leur différence apparente de fitness, les animaux et les bactéries ne sont normalement pas en concurrence. Reprenons notre premier métazoaire: il y avait de bonnes chances pour que son alimentation consiste principalement en bactéries, ce qui revient à vivre sur un énorme gâteau au chocolat qui grossirait plus vite que lui; vous voudriez qu'il se plaigne? Si besoin était, l'Ecologie regorge de concepts pour expliquer la cohabitation d'espèces dont les vitesses de reproduction sont très différentes: le concept des stratégies r et K (du nom des paramètres utilisés pour décrire la croissance d'une population), c'est-à-dire les stratégies de la vitesse ou de la durabilité, et surtout le concept de niche écologique, pour exprimer que bactéries et animaux ne sont pas en concurrence directe: ils ne mangent pas la même chose, ne vivent pas de la même façon, et ne souffrent pas nécessairement de la présence de l'autre. D'ailleurs, le pire compétiteur qui se puisse concevoir, celui qui occupe exactement la même niche, c'est un individu de la même espèce!

En conclusion, s'il est correct d'affirmer que les bactéries évoluent plus vite que les formes de vies plus "complexes" comme les animaux, on peut difficilement comparer leurs succès évolutifs, leurs adaptations, car elles ne jouent pas dans la même catégorie. En revanche, on peut comparer leur adaptabilité, leur adaptation au changement. Si un bouleversement assez brutal survient, et si Darwin a raison, si "c'est l'espèce qui s'adapte le mieux au changement qui survit", il y a fort à parier que les bactéries subsisteront tandis que les animaux -nous y compris- finiront comme les ours polaires. Il sera alors temps de reparler d'adaptation.

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Y
Merci pour cet article.Cependant, c'est une vision encore bien réductrice que d'écrire "que [c'est]  celui qui sera capable de s'adapter le mieux au changement [qui va survivre]" , cette vision te conduit à écrire l'erreur (logique) ensuite: "Si cet organisme [pluricellulaire] avait été moins adapté que les unicellulaires qui l'entourent, sa lignée aurait fini par s'éteindre."La question est en fait mal posée. Le pissenlit est-il plus ou moins "adapté" que le tigre? La gazelle que le lichen? Si oui, le pissenlit va-t'il exterminer le tigre? La gazelle le lichen? (ou l'inverse).La compétition a lieu aux marges du système, ou pendant les crises; la règle semblerait être plutôt la "du moment qu'ça roule" [je suis preneur d'un meilleur terme, celui-ci ne m'allant qu'à moitié]. C'est à dire: pour qu'une espèce survive, il faut (et il suffit) qu'un nombre suffisant de ses membre aient des descendants, et même si ce n'est pas toujours facile, ça n'est généralement pas non plus un marathon olympique (heureusement pour moi, je suis un piètre marathonien;). Pas besoin pour le pissenlit de battre le tigre à la course, ni pour les métazoaires d'être plus musclé que les unicellulaires: il suffit que ça marchotte assez bien pour passer cahin-caha à la génération suivante et de là à celle d'après.Lorsque l'on regarde la diversité du vivant, l'impression qui en ressort est justement cette diversité; bien plus que le règne absolu  d'un ou deux vainqueur de la "compétition". Les solutions retenues par les diverses espèces sont parfois très surprenantes, et pas toujours formidablement "compétitives", mais du moment que ça marche, ça continue de la sorte. C'est pourquoi cette vision du "plus adapté" me parait encore trop étroite. La sélection est à l'inverse: seul disparaît ce qui ne marche vraiment pas du tout.En ce qui concerne les mérites respectifs des différentes formes de vies dans la "compétition", un critère pertinent (que j'avais vu je ne sais plus ou) est la biomasse comparée des concurrents: et là, les bactéries restent encore largement gagnantes, devant tout le reste...Yannick
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I
Bonjour Benjamin et c@fetiers !Qui est le lièvre,et Qui est la tortue ???http://www.youtube.com/watch?v=-QncZi-MHGk&feature=related
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S
Moi ce qui me surprend là dedans, c'est qu'il y ait quelque chose plutôt que rien, comme dirait l'autre, c'est cette sorte de grand machin qui pousse dans pleins de directions différentes, des hommes aux bactéries, et même entre les deux, et même ailleurs où je ne verrai jamais où.Enfin, c'est sûr, si l'homme venait à disparaître par manque d'adaption, je n'aurais jamais la réponse.
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B
Je ne nie pas la grande variabilité des génomes eucaryotes (je pense qu'il y a plus de mutations au cours d'une génération animale qu'au cours d'une génération bactérienne, ne serait-ce qu'à cause de la taille du génome et du brassage de la reproduction sexuée) mais à cause de leur plus faible nombre de descendants par unité de temps, ils explorent moins de génotypes.
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J
SalutLa capacité des microbes a évoluer vite tient en grande partie a leur capacité d'échanger ou de recombiner leurs gènes via un arsenal d'élements génétiques mobiles type virus, transposons, integron etc etc... Or de plus en plus de travaux montrent que les eucaryotes, et même des animaux comme les rotiferes font plein d'échanges latéraux : http://www.sciencemag.org/cgi/content/abstract/320/5880/1210Donc je pense qu'il y a une sous-estimation globale de la capacité des eucaryotes même complexe a connaitre des changements génétiques assez brutaux car ils ont eux aussi un arsenal d'élements génétiques mobiles qui n'a rien a envoyer aux organismes procaryotes. Même quantitativement parlant, les génomes eucaryotes contiennent des quantités invraissemblable d'élements génétiques mobiles dont on connait encore tres mal le role exact. Mais ces dernières années, pas mal de travaux ont montré le role clé de ces éléments dans la génération de nouveaux gènes au sens large : des morceaux de transposons sont recruté par le génome hote pour accomplir des fonctions cellulaires ("exaptation" au sens de Gould, on y revient :-) ) pour revue par exemple  : http://www.nature.com/nrg/journal/v9/n5/abs/nrg2337.html Donc finalement je pense qu'il y a une accumulation de données qui montrent que les génomes eucaryotes ont une plasticité tres importante qui n'a rien a envier aux bactéries. ;-)A+J  
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